La société nous fait croire que devenir mère est un moment de pur bonheur et d’épanouissement. Un mythe qui se perpétue à travers la publicité, les livres et même les conversations du quotidien : une femme tenant son nouveau-né dans les bras, remplie d’amour, de joie et de fierté. Mais que se passe-t-il lorsque ces sentiments ne sont pas au rendez-vous ? Lorsque la mère se sent dépassée, isolée, voire même étrangère à son propre enfant ?
Ce sujet reste encore tabou. Beaucoup de femmes n’osent pas en parler de peur d’être perçues comme de mauvaises mères. L’attente sociale est claire : devenir mère est naturel et doit automatiquement apporter du bonheur. Pourtant, de nombreuses femmes se sentent perdues dans ce nouveau chapitre de leur vie.
Pour mieux comprendre cette réalité, nous avons rencontré Marie-Jeanne Schon, thérapeute familiale qui accompagne depuis de nombreuses années les mères et les familles. Elle sait à quel point il est difficile d’admettre ces sentiments, mais aussi combien il est essentiel d’en parler.
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Entre hormones et pression sociale
Une jeune mère vit non seulement un bouleversement émotionnel, mais aussi un véritable raz-de-marée hormonal. Le "baby blues", une courte phase de mélancolie après l’accouchement, est relativement fréquent. Mais parfois, cela va bien au-delà. La dépression postnatale peut s’installer et affecter profondément la relation entre la mère et son enfant.
Marie-Jeanne Schon explique :"Dès qu’une femme apprend qu’elle est enceinte, elle voit s’ouvrir de nouvelles perspectives. Cela entraîne d’énormes changements – que ce soit dans sa vie professionnelle, sa relation de couple ou sa famille. L’idée que devenir mère signifie automatiquement être heureuse est donc une simplification excessive."
Pour de nombreuses femmes, l’accouchement ne déclenche pas l’euphorie attendue, mais plutôt un sentiment de pression, d’insécurité, voire une distance avec leur bébé.
"J’ai rencontré des femmes qui disaient : ‘Mon bébé est là, mais je ne ressens pas ce bonheur.’ Ou encore : ‘Je m’occupe de lui, mais cela ne me comble pas.’ Cela peut être lié aux hormones, mais aussi à l’expérience de l’accouchement – notamment après une naissance difficile ou une césarienne."
Un autre facteur de pression est cette phrase que l’on entend souvent dans l’entourage : "L’important, c’est que ton bébé soit en bonne santé." Bien que bien intentionnée, elle peut aggraver la détresse de la mère.
"Quand une mère va mal, le fait que son bébé soit en bonne santé ne signifie pas automatiquement qu’elle va bien. Ce sentiment de ‘je DOIS être heureuse’ peut accentuer la souffrance."
Le problème de l’isolement
Autrefois, les jeunes mères étaient entourées par leurs grands-mères, tantes ou autres membres de la famille qui les accompagnaient dans ce rôle nouveau. Aujourd’hui, ce soutien est souvent absent. Les femmes doivent rapidement "fonctionner" à nouveau – être prêtes à reprendre le travail, leur vie sociale et leur rôle de compagne. La charge mentale et émotionnelle est rarement prise en compte.
"Nous constatons que les jeunes mères sont aujourd’hui moins soutenues qu’auparavant. Dans d’autres cultures, il est encore courant qu’une femme soit prise en charge par sa famille après son accouchement. Ici, au Luxembourg, beaucoup de femmes se retrouvent seules – et cela peut être une énorme source de stress psychologique."
Cette solitude s’est particulièrement accentuée pendant la pandémie de Covid-19, où de nombreuses femmes ont accouché dans un isolement total – sans visites, sans soutien concret.
"Aujourd’hui encore, des femmes viennent en consultation et disent : ‘Mon premier accouchement a eu lieu pendant la pandémie, j’espère que cette fois-ci, ce sera complètement différent.’ Cela montre à quel point ces expériences sont marquantes."
Quand le lien ne se crée pas immédiatement
L’image d’un lien immédiat et instinctif entre la mère et son enfant est une autre attente qui ne correspond pas toujours à la réalité. Pour certaines femmes, cet attachement est un processus qui prend du temps.
"Certaines femmes ne ressentent pas immédiatement un lien fort avec leur bébé après l’accouchement – notamment si la naissance a été traumatisante ou si elles se sont senties seules. Mais cela n’a rien d’anormal."
Cette expérience peut aussi avoir un impact sur le comportement du bébé.
"Certains bébés pleurent beaucoup, car ils ressentent qu’il y a quelque chose qui ne va pas. D’autres se replient sur eux-mêmes et dorment plus que la normale. Dans notre pratique, nous constatons souvent que les émotions de la mère se reflètent directement sur l’enfant."
Nous avons besoin de plus de transparence et d’éducation
Il n’existe pas de solution simple à ce problème, mais un premier pas essentiel est d’en parler plus ouvertement.
"Être mère, ce n’est pas seulement une version hollywoodienne de chambres de bébé parfaitement décorées et de femmes rayonnantes. C’est un processus, un changement profond – avec des hauts et des bas. Il est crucial de ne pas cacher cette réalité."
Une société qui comprend la maternité dans toutes ses facettes peut mieux soutenir les jeunes mères. Un grand progrès serait de changer l’attente selon laquelle chaque femme doit être "heureuse" dès la première seconde.
"La meilleure prévention, c’est l’éducation : dire aux femmes qu’il est normal de ne pas ressentir immédiatement ce qu’elles avaient imaginé. Et surtout : savoir où chercher de l’aide lorsqu’elles en ont besoin."
La réalité, c’est que beaucoup de femmes traversent cette expérience sans en parler. Pourtant, en brisant ce silence, on peut déconstruire la stigmatisation – et cela constituerait déjà une avancée importante.
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